Samah Soula, de l’Ukraine au XVème

« Hello. Je suis désolée ! Je pars à Kiev. Mes excuses. » Encore un rendez-vous manqué. Il faudra attendre son retour pour rencontrer la grand reporter chez elle. De l’Ukraine au XVème.

De retour d’Ukraine après une mission d’une semaine sur la place Maïdan, c’est une femme très coquette que nous retrouvons devant chez elle dans le quinzième arrondissement de Paris ce soir là. « Désolée, j’étais coincée sur la 12 » nous glisse Samah Soula en pressant les derniers pas. Manteau effet laine de mouton et petits talons, la grand reporter n’est pas du style baroudeuse et balaye d’un revers de main les clichés sur le dresscode de la profession.  « Je ne suis pas grand reporter, je suis journaliste. Le terme « grand reporter », ça fait juste plaisir vous savez.» Cinq étages plus haut, après quelques secondes de collé-serré dans son ascenseur, elle nous accueille dans un grand appartement à la déco vintage. Un mélange de bois et de zinc, contrebalancé par un mur couleur bleu canard sans doute très en vogue dans les magazines de déco. Un verre de Perrier citron plus tard, nous voici dans son salon, prêts à commencer l’entretien. Enfin… « Vous n’allez pas faire des plans de profil ? C’est tout ce que je déteste ! ». Le ton est donné, le personnage un peu plus cerné. Sans doute l’écho d’une petite déformation professionnelle après des années passées à la télévision.

Mais avant d’embrasser la carrière de grande reporter, Samah Soula a parcouru du chemin, de la Tunisie à la France. Sur sa naissance et sa jeunesse à Bizerte, nous n’en saurons pas davantage. « Non je suis désolée, ma date de naissance, je ne la donne jamais » nous lance-t-elle avec humour. Eclats de rire. Pourtant ce n’était pas une blague. Samah a un peu moins de la quarantaine dirons nous.  Le journalisme n’est pas une voie qu’elle a choisie par hasard. Elle nous confie très vite, accoudée à sa grande table en chêne, qu’elle aimait écrire et raconter des histoires. « J’ai voulu faire presse écrite au début. Je voulais être Albert Londres ». L’école de journalisme n’était pas une étape obligatoire pour ça mais elle avoue volontiers que le Celsa a été son tremplin.

« Elle est planquée la télé »

C’est sur les bancs de cette école qu’elle découvrira la télévision. Déjà passionnée de photographie, l’image va l’attirer et la transporter vers cette spécialité.  « Mêler l’écriture et l’image au final, il y avait un côté très amusant à cela.» Il y a aussi le challenge permanent du news. Et ce constat est d’autant plus vrai depuis qu’elle fait partie de la rédaction internationale de France Télévisions. « J’aime bien ça me dire bon, je ne connais pas, je n’y suis jamais allée et je n’ai pas de contact. Pourtant ce soir j’aurai un direct à l’antenne et ce soir encore, je vais raconter ce qu’il se passe là bas. C’est ça aller à la rencontre des histoires. »

Petit tour d’horizon et un constat tout d’un coup. Aucun écran dans la pièce. A la question « Vous n’avez pas la télé ? », elle paraît d’abord surprise, puis répond avec aplomb « Elle est planquée la télé, ce n’est pas un objet que je trouve très joli. Mais ne vous y trompez pas, il y a des écrans partout ici ». Pour autant, après dix années passées à France 2, elle reste lucide sur les limites de ce média. « On m’a toujours dit « n’oublie jamais que le journal sert à emballer le poisson ». Je ne sais pas quelle serait la maxime à appliquer à la télé mais c’est sûrement « zapper » ».

Entre le terrain et l’humain

Zapper, pas sûr qu’elle en ait vraiment eu le temps. Peu de temps après son diplôme, elle couvre l’Afrique pendant cinq ans pour le compte de l’Agence Internationale de Télévision (AITV), avant un détour par France 3 en tant que pigiste. Puis la rédaction de France 2 en 2004. Elle est propulsée sur tous les continents. Catastrophes naturelles, attentats, l’actualité qu’elle couvre n’est pas toujours légère. La liste est longue. Tremblement de terre de 2005 au Pakistan, Palestine, Espagne, Afrique du Nord, Asie… Autant de destinations qui figurent sur son passeport bien rempli.

En 2008, elle passe sept mois en Chine en tant que correspondante. Cette même année, elle couvre l’élection de Barack Obama. Les départs sont souvent précipités. Depuis des années, l’urgence implique les mêmes réflexes : téléphoner, obtenir des informations sur ce qu’il se passe, trouver un point de chute, un traducteur sur place. Ou encore décaler un rendez-vous avec trois étudiants en journalisme lors qu’elle est appelée en urgence pour l’Ukraine. « Lorsqu’on vous prévient deux heures avant le décollage, on a tout juste le temps de faire sa valise, préparer le matériel et son passeport », avoue-t-elle.  «  En 2004 j’étais venue à la rédaction en habits de Noël, seulement pour faire une cabine. Deux heures après, j’étais dans un avion avec mon sac de permanence, où j’avais mis mes habits les plus chauds en prévision des avalanches. Je me suis retrouvé au Sri Lanka en polaire ! » Des anecdotes qui continuent de la faire sourire et qui peuvent encore lui arriver à tout moment.

Le travail n’est pas la seule facette du terrain. Face aux évènements tragiques, riches en émotion et en stress, la gestion humaine prend une place importante. « Dans les catastrophes, les gens sont contents de vous voir, car on leur donne la parole. »  Les relations entre confrères font aussi partie de cette réalité. « Il y a une formidable solidarité sur le terrain. On y noue des relations fortes » confie-t-elle.

Dans sa longue liste, elle souligne également les évènements plus festifs, comme le mariage de Kate et William et l’accueil chaleureux des Britanniques. Le 14 juillet 2013, pour son premier saut en parachute, elle se jette en tandem au dessus de Paris équipée d’une go pro, et atterrit sur l’esplanade des Invalides. « Cela fait partie des récompenses du métier. » sourit-elle, en revenant sur le lien créé avec les équipes militaires au fil des défilés.

L’année 2011 marque un tournant. Elle retourne en Tunisie, son pays natal, pour couvrir la révolution de Jasmin.

Une génération hybride

Lorsqu’elle dénonce le fait que les médias se soient rendu compte trop tard de l’importance de la révolution tunisienne, Samah Soula ne s’exclut pas du lot. Comme ses confrères, elle n’a pas perçu tout de suite la gravité de la situation. Ni les réseaux à utiliser en priorité.  Entrée dans la profession au milieu des années 90, elle appartient à cette génération de journalistes qui a vécu l’arrivée d’Internet dans les rédactions. Une génération hybride, ni éloignée, ni vraiment proche des journalistes 2.0 sortant à peine des écoles et qui ont passé le plus clair de leur enfance à apprivoiser le web.

Ce n’est pas pour autant que Samah Soula reste à l’écart des réseaux sociaux. Sans être avant-gardiste, elle est tout de même présente sur Facebook et Twitter depuis quelques temps. Inscrite sur le premier fin 2010, elle n’a rejoint le second qu’en avril 2012, soit près de six mois après le déclenchement de la révolution tunisienne, et six ans après la création du réseau. Une arrivée tardive qui démontre peut-être qu’à l’instar de quelques journalistes, elle garde une certaine méfiance envers ces plateformes. « Twitter, ce n’est pas une source, c’est un outil, martèle-t-elle à deux reprises. Ça nous aide à trouver des pistes, à les vérifier et les alimenter mais je continue à suivre mon histoire. Ça ne change franchement pas ma façon de travailler même si je peux être plus réactive. » Elle concède tout de même que « ça va beaucoup plus vite ».

Ce qui change, en revanche, c’est la relation avec le téléspectateur. Celle-ci est devenue « directe et immédiate ». Les journalistes reçoivent désormais instantanément les remarques bienveillantes ou incendiaires qui mettaient auparavant plusieurs jours à arriver par la poste. Pour elle, « c’est une sanction intéressante car elle nous rappelle à qui on s’adresse : un public qui n’a pas toujours les clés pour comprendre nos reportages ou notre langage ». Elle cite alors les événements de Gaza, où elle a été « traitée de tous les noms par les deux camps ». Pour son plus grand plaisir car aujourd’hui encore, elle considère que cela voulait dire qu’elle avait « bien fait son boulot ».

Mais que les tweets qui l’interpellent soient positifs ou négatifs, elle ne répond que très rarement. Quant à Facebook, elle le réserve à son usage personnel et n’a pas de compte professionnel. « La frontière entre monde professionnel et intime est trop mince sur les réseaux sociaux, dit-elle. Parfois, je n’ai simplement pas le temps de tweeter, parfois même je n’ai pas Internet. »

Vivre l’Histoire au jour le jour sans en connaître l’issue

A la question « est-ce que vous imaginiez occuper ce poste un jour ? », la journaliste répond naturellement que c’est ce qu’elle a toujours voulu faire. Partager et vivre l’Histoire en marche.  Avec un grand H. Une anecdote lui revient alors en mémoire.

Et s’il ne devait y avoir qu’un mot pour qualifier le métier ? Ses yeux de jais nous regardent fixement et le mot PASSION raisonne dans le salon maintenant plongé dans la pénombre, avec pour seules sources de lumière quelques pièces originales comme cette vieille cage à oiseau transformée en luminaire. « Si on n’a pas la passion, on ne peut pas le faire. C’est un métier qui demande beaucoup d’investissement personnel. C’est beaucoup d’heures. Les gens ne se rendent pas forcément compte mais après le 20h, on enclenche déjà la machine pour le lendemain. » La télé n’est finalement pas la seule absente dans cette grande pièce. Mais peut-être les photos de famille sont-elles cachées elles aussi. Nous ne lui poserons pas la question.

 

 

Clément Melki,

Emilie Gouveia Vermelho

et Valentin Graff